Financer l’avortement : une affaire privée ?

L’initiative « Financer l’avortement est une affaire privée » ne réduit pas les coûts de la santé et ses conséquences morales et éthiques seraient graves. Une majorité de la population avait adopté, à plus de 70%, l’actuel régime du délai. Le nombre d’IVG en Suisse est, en comparaison internationale, très bas. Dans le cas où une femme souhaite ou doit interrompre sa grossesse, un suivi médical apparaît comme un droit fondamental. En aucun cas des considérations de capacités financières ne doivent intervenir dans cette décision. 

Les arguments financiers ne tiennent pas la route

Le taux d’avortement en Suisse est parmi le plus bas du monde ; il a baissé depuis que les femmes peuvent disposer librement de leur corps, il est de 6,4 IVG (interruption volontaire de grossesse) pour 1’000 femmes, dont 2/3 participent aux frais par leur franchise élevée. Ainsi, les coûts liés à l’IVG représentent 0.03% des coûts de la santé (20 centimes par an et par personne !), soit 8 millions de francs sur les 26 milliards à la charge de l’assurance obligatoire des soins en 2012.

La suppression de la prise en charge de ces coûts par l’assurance de base induirait, au contraire, de nouvelles charges : augmentation des frais administratifs des assurances pour l’évaluation au cas par cas du droit au remboursement, coûts engendrés par des complications médicales suite à des interruptions de grossesse non-professionnelles, coûts liés au soutien social et financier de parents ou de mères seules à revenu modeste qui n’avaient pas souhaité mené une grossesse à terme. En outre, une grossesse non désirée menée à terme coûte dix fois plus cher qu’un avortement.

Conséquences éthiques et morales injustifiables

Le risque est bien réel de voir réapparaître des pratiques hors cadre légal et professionnel : avortements bâclés et automédication abortive, avec pour corollaires des atteintes à la santé et même la mise en danger de la vie des femmes concernées.

Les cas d’exception de remboursement de l’interruption de grossesse seraient définis en termes juridiques généraux, ce qui donnerait lieu non seulement à de nombreuses discussions sur l’interprétation à leur donner, mais aussi à des pratiques divergentes et donc à une inégalité de traitement.

Remettre en cause le système de financement global des coûts de la santé en émettant des jugements moraux sur les risques pris à titre individuel est dangereux. Certains pourraient tenir le même raisonnement à propos des greffes d’organes, du tabac, du diabète, de l’alcool, de l’obésité, de la conduite routière, de la vieillesse, etc.

Garder un équilibre entre responsabilité individuelle et collective

La décision de mener à terme ou non une grossesse est bien une « affaire » privée, parfois lourde à assumer personnellement. Mais si ce libre choix ne peut s’appliquer pour des raisons financières, les conséquences sont collectives, assumées par les finances publiques. Et les difficultés familiales, sociales et économiques qui contribuent à la décision d’avorter ne sont pas totalement de la responsabilité des femmes ou des couples !

Le système de co-financement solidaire de l’assurance maladie ne doit pas être remis en question pour des motifs religieux, éthiques ou moraux : fondamentalement, la question n’est pas de savoir si on est pour ou contre l’avortement. C’est de savoir si la Suisse accorde aux femmes – et aux couples – le droit de décider d’interrompre une grossesse en préservant leur santé. Et ce droit est lié à la prise en charge de l’IVG par l’assurance de base.

J’invite donc les citoyennes et les citoyens à refuser cette initiative trompeuse !

Josiane Aubert, Conseillère nationale